Sous un soleil radieux, Vincent B., Vincent D., Martin, Jean-Marc (notre guide) et moi, marchons vers le refuge Adèle Planchard. Pénétrer dans le massif des Ecrins, c’est s’infiltrer dans un monde sauvage, minéral, brut et à pic. En effet, la mécanisation est largement absente du massif, projetant le randonneur et l’alpiniste dans un passé pas si lointain, où la montagne était largement un espace vierge et encore un vrai terrain d’aventure. Il faut donc disposer pour chaque projet d’ascension, de temps, le cheminement vers le refuge occupant souvent une journée entière, et de volonté, en cette époque d’instantané et d’automatisme. En contrepartie, cette « soupape de décompression » permet de s’habituer progressivement aux mille charmes de ce massif. Car si l’aridité de ce milieu minéral est ce qui saute aux yeux, le marcheur attentif y verra mille raisons de s’enthousiasmer, du ruisseau fougueux descendant avec fracas les vallons encaissés aux petites fleurs de montagnes ayant réussi à vivre dans cet univers hostile. Sans parler des montagnes environnantes qui font l’effet d’un aimant sur les alpinistes. Dans notre cas, ce sont les Agneaux et son glacier suspendu, qui rayonne de tous ses feux.
Une fois arrivés au refuge Adèle Planchard, nous pouvons profiter du coucher de soleil qui illumine les Ecrins, situés juste en face. À notre droite se trouve la massif de la Grande Ruine, un ensemble rocheux d’envergure qui sera notre terrain de jeu pour les deux prochains jours.
Tour Carrée de Roche Méane – Face Sud – 3 672m
Après une bonne nuit au refuge, nous nous mettons en route vers la Tour Carrée de Roche Méane, qui se situe à 40 minutes à peine de marche du refuge. Nous gravissons sa face sud, qui émerge du glacier supérieur des Agneaux. S’il n’est pas un des grands sommets du massif, l’ascension de ce sommet a incontestablement du caractère du fait de la solitude des lieux mais aussi à la lumière des lieux qui donne à la roche une couleur de pain doré.
Une fois le glacier remonté, l’escalade a résolument un caractère « haute montagne ». Sans jamais être difficile, l’escalade est très instructive, à la recherche de la meilleure ligne de faiblesse de la roche. L’arête qui mène à la Brêche Romantique est même aérienne et permet d’entraîner notre pied montagnard. Malgré l’altitude (3 672m) l’ascension se passe sans maux et c’est plein de contentement que nous rejoignons le refuge.
Grande Ruine – Pointe Brevoort – Arête Sud – 3 765m
Le lendemain nous partons en direction de la Grande Ruine, un sommet culminant à 3 765 m. Celui-ci est composé de deux sommets, le Pic Maître et la Pointe Brevoort, la plus haute des deux, vers laquelle nous nous dirigeons. La cime porte le nom d’une demoiselle américaine, Miss Meta Brevoort, qui en réussit la première ascension en 1873. En 1870, celle-ci, accompagnée de son neveu W. AB. Coolidge avec Christian Almer, père, Ulrich Almer et Christian Gertsch, font la première du Doigt de Dieu à la Meije. Cependant, le vrai sommet de la Meije ne sera gravi que sept années plus tard, en 1877, par les Gaspard père et fils et Emmanuel Boileau de Castelnau.
Après quelques minutes de marche, nous passons le col des neiges et nous retrouvons plongés dans un cirque très sauvage, dans l’intimité du massif. Les Ecrins, qui semblent nous observer au loin, sont retranchès à l’abri de grands contreforts rocheux, tels des remparts visant à dissuader toute approche. Puis nous montons par un couloir neigeux raide vers le Col de la Case Déserte. Le passage du col, entre l’arête S de la Grande Ruine et le versant NE de la Tour Choisy nous dévoile un splendide bastion rocheux, l’arête sud, que nous allons remonter.
Ce magnifique dessin publié sur camptocamp.org montre la ligne empruntée pour arriver au sommet. D’un caractère résolument « haute montagne » l’escalade, sur le fil de l’arête, est très agréable et toujours sur un rocher de qualité et dans un cadre hallucinant. Le retour au refuge, par la voie normale de montée, sur le Glacier Supérieur des Agneaux, sans être triviale, ne pose pas de grandes difficultés.
Une fois de retour dans la vallée nous profitons d’une journée de repos très appréciable, d’autant que le temps tourne au mauvais. Ceci est de mauvais augure pour notre prochain objectif, qui occupe toutes nos pensées, la Meije. Après mûre réflexion nous décidons de partir le lendemain par les Enfetchores, afin gagner le refuge du Promontoire et souhaiter que la météo se tienne suffisamment pour l’ascension. En effet, depuis une terrasse de la Grave, nous ne pouvons résister à l’appel de ce sommet magnétique. Songez à Gaston Rébuffat qui disait simplement : « C’est sans doute la plus belle course de l’Oisans »…
Les Enfetchores – Refuge du Promontoire – 3092m
Afin de nous accompagner pour cette aventure exceptionnelle, Fabien nous a rejoints et c’est à six que nous pénétrons dans le royaume de la Meije. La montée au refuge du Promontoire par les Enfectchores est déjà une petite course complète qui sait à elle seule ravir les amoureux de la nature. Du vert de l’herbe et du bleu crisatllin du torrent, on progresse lentement vers le brun de la roche, le blanc de la neige et le cristal de la glace. Cette traversée des étages naturels est un pur contentement d’autant que tout ceci se fait sous l’impressionnante face nord de la Meije…
Une fois arrivé à la brèche, nous retrouvons le vallon des Etançons et, tout proche en contrebas, se tient le refuge du Promontoire, fixé sur le flanc de la Meije, tel un funambule sur son fil. Tout dans ce refuge est beau, de son éloignement, sa rusticité, sa simplicité, son naturel et ses gardiens ; l’ambiance y est émouvante, sereine.
La journée nous laissant encore de belles minutes de soleil, nous décidons de partir en reconnaissance au-dessus du refuge afin de repérer les premiers mètres de la course que nous parcourrons en pleine nuit. En effet, la traversée de la Meije est une course d’ampleur, et même si nous avons prévu de dormir au refuge de l’aigle le lendemain, il faut partir au beau milieu de la nuit afin d’assurer notre sécurité. Mais cette reconnaissance est aussi l’opportunité d’admirer la face sud de la Meije et son formidable bouclier de gendarmes et de dalles. Quel bonheur que de se trouver ici…
Malheureusement la météo se dégrade durant la nuit et c’est surtout le vent qui nous inquiète. Annoncé à plus de 80 km/h sur les sommets, partir dans ces conditions se révèlerait trop dangereux. Malgré notre déception évidente, le sort de l’un des alpinistes présent au refuge force à relativiser ; celui-ci essaie depuis bien des années à gravir ce sommet, à chaque fois sans succès à cause de la météo… Après avoir attendu des nouvelles rassurantes toute la matinée, nous décidons finalement de redescendre à la Bérarde par le vallon des Etançons. La Meije, ce sera pour plus tard…
Afin d’apaiser nos ardeurs, rien de mieux qu’une bonne raclette dans l’un des plus beaux villages de France. Dans la vallée profonde du Vénéon, La Bérarde vibre au cœur du massif des Ecrins.
La Bérarde – Tête de la Maye – Tu ris Maye
Pour notre dernier jour en montagne, nous nous dirigeons vers la Tête de la Maye, une grande face rocheuse au pied de la Bérarde. Fantastique belvédère sur la face sud de la Meije, elle est aussi un point de vue admirable sur la sauvagerie du massif.
Celle-ci propose de superbes escalades, dont Tu ris Maye, que je parcoure avec Vincent. Les 350m de cette voie en 6c sont splendides, en particulier des passages en dalle « bombées », tout en finesse et en équilibre, qui restent gravés en mémoire bien après !
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