Traversée Petit – Gand Paradis

By Bertrand, 14 juillet 2020

J’ai pris un temps infini à écrire ce compte-rendu. Non pas qu’il me désintéresse, bien au contraire. La pensée de la tâche à effectuer rôde sans cesse. Je crois que j’aurais voulu être à la hauteur. Paraître ce que je ne suis pas pour sublimer cette course partagée avec Jean-Baptiste. Quand le compagnon de cordée et la montagne sont aussi intenses cela donne l’envie de se surpasser. Je me suis rêvé, sinon l’égal, tout le moins le copieur, d’artistes qui m’entourent. J’ai fait des tentatives, percutantes comme un vers de Grand Corps Malade, poético grandioses comme une dystopie de Damasio, pétries de lucidité et d’humanité comme un livre de Romain Gary. Tous mes essais sont morts dans l’œuf ou tombaient lamentablement à plat. Songez donc à cette tentative infructueuse en vers. La seule chose présentable ressemble à ceci :

Ainsi la neige se retirant sans frasques
Nous avons ôté nos masques
Heureux de se retrouver en terres rocailleuses
Nos étreintes n’en furent que plus chaleureuses

Il a fallu se réapproprier nos gestes
Pas ceux des barrières
Ceux moins éphémère
Menant vers les cimes célestes

Ce sont les héros mêmes de ce texte qui m’ont donné le meilleur exemple et le courage d’écrire.

De modestie d’abord.
Ce Piccolo Paradiso, ne doit son nom qu’à une centaine de mètres qui le séparent de son illustre grand frère. Encore s’en est-il fallu de peu pour le petit et le grand ne tombent dans l’oubli. 60 mètres, c’est ce qui sépare le Grand Paradis de la fatidique barre des 4’000 mètres. En-deçà, point de salut pour les chasseurs d’étiquettes. Pour le plus grand bonheur d’alpinistes en quête de belles courses sauvages, ce Piccolo Paradiso manque le coche pour 40 mètres (imaginez ce qu’il serait advenu de la Meije si le compteur ne s’était arrêté à 17 mètres du couperet !). Et pourtant ce Petit Paradis regorge de trésors. Le fil de son arête se parcourt avec une joie sans cesse renouvelée. Variété des éléments, vues changeantes et panoramiques, ascenseurs rocheux et émotionnels contribuent à une course plaisante et marquante. Un peu comme la Meije finalement…

De fidélité ensuite.
Cela fait presque une décennie que nous partageons les joies de l’altitude avec Jean-Baptiste. Sans anicroche, sans fausse note. Une relation empreinte de respect, de modestie, d’audace parfois, de complicité toujours.

J’aurais voulu revenir sur les détails marquants de cette ascension. De la lumière naissante sur le col de Montandayné à l’émotion pressante au sommet du grand frère. De la concentration totale dans les pentes de glace à la joie de l’instinct et du lâcher prise (si je puis dire…) dans les passages rocheux. Peut-être même évoquer l’oubli de mon baudrier qui nous aura valu, la veille, de mémorables rencontres aostiennes. Et que dire de ce premier café post-déconfinement partagé ensemble. J’y renonce. Et puisque n’est pas Gary qui veut, je ne résiste pas à l’irrépressible envie de partager ce passage rencontré dans La promesse de l’aube. Il y traite de la mer, mais comme bien souvent le parallèle avec la montagne est presque immédiat. J’aurais aimé pouvoir écrire ceci. Grâce à la rencontre de tels compagnons et de telles montagnes j’accepte bien volontiers mes limites et pourrais même finir un jour par les aimer. Et si c’était sur les montagnes que nous tracions nos plus belles lignes ?

Mon premier contact avec la mer eut sur moi un effet bouleversant. Je dormais paisiblement sur ma couchette lorsque je sentis sur le visage une bouffée de fraîcheur parfumée. Le train venait de s’arrêter à Alassio et ma mère avait baissé la fenêtre. Je me dressai sur les coudes et ma mère suivit mon regard en souriant. Je jetai un coup d’œil dehors et je sus brusquement, clairement, que j’étais arrivé. Je voyais la mer bleue, une plage de galets et des canots de pêcheurs, couchés sur le côté. Je regardai la mer. Quelque chose se passa en moi. Je ne sais quoi : une paix illimitée, l’impression d’être rendu. La mer a toujours été pour moi, depuis, une humble mais suffisante métaphysique. Je ne sais pas parler de la mer. Tout ce que je sais, c’est qu’elle me débarrasse soudain de toutes mes obligations. Chaque fois que je la regarde, je deviens un noyé heureux.

One Comment

  1. Maman dit :

    Qui es tu pour nous entraîner dans tes sillons
    Avec tant d’Emotion
    Qui nous parcours de frissons
    Deux visages Radieux près des Cieux
    Avec la Vierge au sommet du Grand Paradis
    En la Priant chaque jours d’être encore là dans quelques décennies
    Ou Le Grand ne rejoigne son Petit Frère
    Espérant que le permafrost pourra continuer de jouer son rôle
    Vital pour les faire tenir « Droit »et Fier pour longtemps encore
    faire des Heureux , sinon
    Ils deviendraient alors de Grands Corps Malades

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