Traversée Contamines – Miage – Bionnassay – Mont Blanc – Mont Truc – Contamines

By Bertrand, 2 août 2018

Cela fait dix ans que je pratique passionnément la montagne. Dix ans depuis cette première semaine alpine avec Martin, Vincent puis Jean-Marc. Premiers pas nocturnes au couloir de la Table (mais pourquoi diable part-on si tôt ? comment Martin fait-il pour s’orienter en pleine nuit ? étaient des questions qui occupaient mon esprit …). Première très grosse frayeur sous les éclairs qui nous chassent par deux fois de la traversée des Dorées. Premières longueurs sur le granite du Grand Capucin, quelle première avec le recul …. Ces instants hors du temps sont toujours aussi frais dans ma mémoire. Je me rappelle aussi déjà rêver de la Verte…

L’échelle à Jacob dans les Aravis, à la Pointe Blanche, seuls au monde toute la journée …

Paradoxalement je n’ai jamais vraiment convoité le Mont Blanc. Eduqué par des montagnards passionnés, j’ai dès le départ appris a privilégier l’intérêt des voies à gravir sur la réputation de celles-ci. Plutôt que la voie normale du Mont Blanc, tristement victime de sa célébrité, j’ai progressé sur d’autres itinéraires. Tour Ronde, Roche Méane, Grande Ruine, voies d’escalade confidentielles… Pas de grands noms mais toujours de belles progressions. C’est finalement la Meije qui est devenue mon sommet de coeur au moment où mes capacités alpines me permettaient d’envisager des courses de plus grande envergure. Plutôt que d’Innominata je rêvais alors de traversée des arêtes, du Z ou de la Pierre-Allain que je parcourrais successivement. 

Montée à la Bérangère, porte d’accès de la traversée Miage – Bionnassay – Mont Blanc

Cependant depuis quelque temps, l’envie de monter tout là haut se faisait plus forte. Envie de connaître plus intimement celui qui reste malgré tout l’objet de tant de conversations des plus novices au plus expérimentés. Je m’étais dit avec le temps que si je devais y aller un jour ce serait par son versant italien. Finalement, le projet d’ascension se cristallisa cet été autour de la traversée Miage / Bionnassay / Mont Blanc. Toutes les conditions étaient réunies pour que Jean-Baptiste et moi envisagions sereinement cet esthétique et long parcours d’arêtes. Une montée en altitude progressive, un parcours exigeant physiquement mais abordable techniquement (pour nous qui avions si peu grimpé dernièrement…), une parfaite utilisation de beau créneau météo en restant 4 jours en altitude, une course intéressante en elle-même qui permettait au passage de fouler le Mont Blanc, la découverte d’endroits inconnus de nous deux (Durier, la fin de la traversée de Miage).

Vue sur une partie de notre périple, de gauche à droite la Bérangère, les Dômes de Miage, l’Aiguille de Bionnassay, le Dôme du Goûter, le Mont Blanc, l’Aiguille du Goûter

Maintenant que le temps du compte rendu est venu, plusieurs impressions subsistent fortement.

La ligne parfaite que dessine ce long parcours d’arête, que ce soit sur la carte ou sur le terrain. La vue de tout le parcours restant à parcourir depuis les Dômes de Miage est saisissante et même un peu intimidante. Nous sommes fiers d’avoir réalisé cette boucle, des Contamines aux Contamines entièrement à pied et sans remontées mécaniques ce qui nous a permis de profiter de tous les étages de la montagne. Et puis qui peut se targuer d’avoir gravi la Mont Truc (1811 m) le lendemain d’avoir foulé la cime du Mont Blanc ???!

Depuis les Dômes de Miage le chemin restant à parcourir est intimidant

De la vallée au Mont Blanc nous avons fait de nombreuses rencontres au gré des altitudes et des difficultés rencontrées sur le parcours :

Des Contamines au refuge des Conscrits nous passons progressivement du vert au blanc, de la randonnée à l’alpinisme (même si le nouveau sentier d’accès au refuge des Conscrits qui répond à l’inquiétant recul glaciaire, permet du même coup aux randonneurs de dormir au plus proche des Dômes sans devoir franchir le glacier). Souvenir ici pour cette sympathique randonneuse en solo qui se préparait à vives foulées pour une prochaine ascension de l’Aiguille des Glaciers ou encore pour la gardienne du refuge de Très la Tête qui, outre cuisiner parmi les meilleures omelettes de la vallée, nous a chargé d’une plaque de chocolat pour sa collègue de Durier bien plus coupée des plaisirs de ce monde. 

Passerelle offrant une solution au recul glaciaire, à défaut de mieux …

Sur les Dômes nous avons croisé un couple de d’annéciens rencontré la veille aux Conscrits. Peu habitués de la haute altitude, ils avaient choisi les Dômes pour la beauté à couper le souffle de leur traversée. Ils se sont posés beaucoup de questions sur leur capacité à réaliser la course mais d’après ce que nos avons vu ils se sont surpassés et ont réussi leur objectif. Bravo à eux !

La photo rêvée de tous les alpinistes traversant les Dômes

A partir du col des Dômes on passe dans un autre monde et la course devient plus sérieuse. Seules 2 cordées nous accompagnent ce jour là pour rallier le refuge Durier pour des instants mémorables.

Après le col des Dômes on bascule dans un autre monde (et c’est long !)

Bicoque exiguë de 10 couchages, elle n’offre même pas à sa dévouée gardienne d’espace privé. Conçue d’une pièce unique, une certaine organisation est nécessaire pour permettre à chacun de se reposer. Placement des alpinistes selon leur heure de départ, souper en deux services parce que la table ne permettrait pas autre chose, sacs sur les matelas … En contrepartie des heures que nous chérissons et que nous recherchions. Merci à Manon la gardienne pour son accueil, son pain et pour faire de cet endroit ce qu’il est.

Le refuge Durier

Puis est venu le temps d’une longue et éprouvante journée. Techniquement la plus exigeante avec l’ascension de l’Aiguille de Bionnassay qui nous permet de poser le matériel métallique porté jusque là et physiquement éprouvante. La montée à Bionnassay est sans conteste le plus beau moment de toute l’ascension avec une arrivée au petit matin qui nous récompense grandement de tous nos efforts. Nous partageons cela avec Paul et Mathieu, avec qui nous pousseront jusqu’au Mont Blanc.

La partie la plus intéressante de l’ascension

Sur le fil d’une arête qui me fait encore sourire des jours après l’avoir parcourue sur la pointe des crampons, nous rejoignons discrètement mais sûrement le Piton des Italiens et également la voie normale italienne.

Au sommet de Bionnassay au soleil naissant

Des indices nous indiquent que nous passons à nouveau dans un autre monde. Voie ultra tracée et cette cordée de trois alpinistes anglo saxons qui se dirige vers les Aiguilles Grises italiennes avec tant d’anneaux de corde à la main que nous les interrogeons pour savoir si tout va bien pour eux. Puis vient le moment de rallier le Dôme du Gouter et de découvrir par nos propres yeux ce que nous avions attendu sur cette voie normale française… Personnes incapables de cramponner, d’autres souffrant visiblement de MAM et tirés par des premiers de cordée peu conciliants, un groupe de touristes installés sur des chaises longues à quelques mètres d’une crevasse, alpiniste abandonnée par sa cordée et rejoignant seule le refuge du Gouter au milieu des séracs, guide le visage fermé tirant lentement son client … 

Sur le fil suspendu de l’arête de neige de Bionnassay

C’est dans un mélange d’émotions que nous avons rejoint la cime. Tout d’abord, et il faut le dire, monter là haut demande un effort certain et cela ne saurait être dénigré. Ne serait-ce que parce que l’altitude nous prive d’une partie de nos capacités physiques. Arriver au sommet, de plus après ces jours passés en altitude, est un très beau moment qui nous a procuré beaucoup d’émotions positives. Mais ceci est forcément un peu teinté par tout ce qui nous entoure. Notre isolement et sérénité perdus nous manquent certes, mais que penser de toutes ces personnes aimantées par le toit de l’Europe au détriment des règles élémentaires de sécurité alpine ? Je comprends tout à fait que l’idée de fouler le sommet le plus haut d’Europe soit un puissant moteur et cela en est un pour moi également. Mais cela doit-il se faire au détriment de la sécurité de la cordée, de ses capacités techniques, de ses partenaires, de son plaisir, …

Sommet du Mont Blanc !

Au refuge de Tête Rousse nous rencontrons au troisième soir une sympathique famille tchèque. Cela fait trois ans qu’ils viennent tenter l’ascension du Mont Blanc sans succès. Ils regrettent la foule, les difficultés de réservation et nous demandent même des conseils sur d’autres courses dans le massif. Nous nous faisons un plaisir de leur répondre autour d’une (plusieurs) bonne(s) bière(s). Ils la préfère à l’eau pour s’acclimater ! Leur conclusion : merci pour les idées mais le problème, ce n’est pas le Mont Blanc … Dommage pensons nous.

Heureux comme deux gamins

Enfin dernier jour, nous nous offrons le luxe d’un retour en douceur et à pied vers les Contamines. Avec au programme le col de Tricot, une coupe Miage au chalets éponymes, le col Truc et … le Mont Truc. 1811m, des pâturages, des vaches, des moutons, des randonneurs et surtout un plaisir de deux gamins. L’envie toujours renouvelée de profiter de cette nature enchanteresse, de poser les sacs pour remonter les douces pentes de ce sommet anonyme mais qui nous procure autant de joie que le glorieux de la veille. 

Clou du spectacle au Mont Truc, quel pied !

De retour au chalet de Saint Nicolas, quelle joie de découvrir depuis la baie vitrée du salon quasiment tout l’itinéraire parcouru ces derniers jours. Je suis heureux de penser que Jean-Baptiste repensera à ce merveilleux parcours chaque fois qu’il reviendra là. 

– Que dirais tu de quelques longueurs d’escalade avant de reprendre la route ? 

– J’ai des ampoules mais si je serre pas trop les chausson cela devrait aller, alors pourquoi pas 🙂

 

2 Comments

  1. Martin dit :

    Bravo pour cette magnifique traversée ! Amitiés Martin

  2. Bertrand donninger dit :

    Article paru dans la Tribune de Genève ce jour …. comme quoi je n’exagère pas….

    Insultes, coup de poing, «faux guides»… Les autorités locales françaises s’alarment des comportements irrespectueux qui se multiplient selon elles dans l’ascension du Mont-Blanc, sans parler des touristes inconscients qui la tentent en baskets.

    «Le summum de l’irrespect est-il atteint ?», s’interroge dans un communiqué le maire de Saint-Gervais (Alpes françaises), Jean-Marc Peillex, listant les pires attitudes récemment signalées par des guides et d’autres témoins.

    La ville de Saint-Gervais est le point de départ de la voie normale, dite du Goûter, vers le sommet du géant alpin (4.810 mètres), situé à la frontière franco-italienne.

    Ainsi, mercredi, un guide reçoit un coup de poing en croisant une cordée de huit personnes originaires d’Europe de l’Est au motif qu’il ne s’est pas arrêté pour les laisser passer. Un autre se fait insulter dans le refuge du Goûter, situé à 3.815 mètres d’altitude, pour avoir précisé qu’un piolet se remisait dans le local à crampons. Un troisième est volontairement bousculé sur l’arrête des Bosses par quatre Espagnols mal encordés et mécontents de s’être fait doubler.

    Dans la montée du Dôme du Goûter, trois imprudents font la sieste côte à côte sur un pont de neige… Plus loin, un abri de détresse est rendu inaccessible, «privatisé» par une vingtaine de personnes.

    Le 11 août, ce sont des Lettons qui tentent de monter avec un mât de 10 mètres pour hisser leur drapeau national au sommet du Mont-Blanc. Alertés par M. Peillex, les gendarmes les bloquent.

    Un touriste a même planté sa tente au sommet du Mont-Blanc, ajoute le maire qui dénonce également la présence sur l’itinéraire de plusieurs «faux guides», qui n’ont évidemment pas le droit d’exercer.

    «Ce ne sont pas moins en moyenne de 80 alpinistes par jour qui se sont empressés de monter au refuge du Goûter du 5 au 14 août», une période pendant laquelle la préfecture avait recommandé aux alpinistes de différer leur ascension en raison de la canicule qui provoquait de dangereuses chutes de pierres.

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