La Grave, la face nord de la Meije, le soleil des Terrasses

By Bertrand, 28 avril 2022

Je ne sais vraiment pas par quel bout prendre ce billet. A force de la triturer, de le construire et le déconstruire. Il n’est pas protéiforme, il n’a pas de forme.

Il y a ce dont je veux absolument parler.

Le bonheur de retrouver des amis de longue date, pour écrire ensemble une nouvelle page d’amitié. La fierté, dans nos emplois du temps bien chargés, de toujours savoir trouver une place pour ces moments importants. Cruciaux. Vitaux.

Les souvenirs qui rejaillissent à l’entrée du bus départemental dans le village de La Grave. La Meije, sa face nord, ses glaciers, ses cascades, ses vallons enneigés. Les amitiés nouées, les deux Stéphane, Guillaume. La sueur de la préparation au concours de ski du guide de haute montagne. Notre bout de GR54 avec Stéphanie, les ruelles du village désertées à l’automne, l’explosion de couleurs sur plateau d’Emparis.

Et aussi tout ce qui donna le sel de séjour. Les facéties de notre hôte qui dissimulent sûrement aussi un grand cœur. La course au retour du second jour de randonnée pour arriver à l’heure de peur de se faire gronder. Le refuge du Goléon et son merveilleux accueil. Starmania chantonné dans la pénombre après une grosse journée de randonnée. Les sourires échangés. Philippe qui enfourche la corde tirée par la dameuse tel un destrier et qui se retrouve les quatre fers en l’air …

Et puis il y a ce dont je ne veux pas parler mais dont l’omission me paraît fallacieuse. La guerre qui débute. Le bruit des munitions des résumés vidéos que Philippe regarde avant de s’endormir. L’incrédulité de Marie-Laure et de son passé familial tellement européen. Je ne me sens pas légitime à développer ce sujet, mais l’omettre n’est pas non plus envisageable. Je suis de cette génération née avec des livres d’Histoire trop remplis d’horreurs et qui pensait que cela l’immunisait contre tout nouveau drame. Ce n’est plus le cas. La désillusion est forte. En m’endormant le titre du livre de Chinua Achebe, Things fall apart, ne me quitte pas. En écrivant ce billet je découvre qu’il s’inspire d’un poème de Yeats, The Second Coming, dont les vers sont poignants.

Turning and turning in the widening gyre   
The falcon cannot hear the falconer;
Things fall apart; the centre cannot hold;
Mere anarchy is loosed upon the world,
The blood-dimmed tide is loosed, and everywhere   
The ceremony of innocence is drowned;
The best lack all conviction, while the worst   
Are full of passionate intensity.

Comment parler de ces sujets si éloignés sans jeter une part d’ombre sur un vrai moment de partage et d’amitié.

En acceptant que chaque lumière a sa part d’ombre ? Et si ces ombres étaient nos plus grandes chances ? Notre chance de savoir reconnaître les rayons de soleil qui nous illuminent, même fugacement. De les chérir. Emmanuel Faber, dans Ouvrir une voie, reconnaît la force et le discernement qu’il tire de la maladie de son frère. L’humanité et la fraternité qui émanent des textes de Leonardo Padura ne seraient sans doute pas aussi fortes si elles n’étaient teintées d’une profonde mélancolie.

Comme les deux faces d’une même pièce, après avoir cité Yeats, je ne peux m’empêcher de citer Goldman.

C’est ta chance, le cadeau de ta naissance
Y a tant d’envies, tant de rêves qui naissent d’une vraie souffrance
Qui te lance et te soutient
C’est ta chance, ton appétit, ton essence
La blessure où tu viendras puiser la force et l’impertinence
Qui t’avance un peu plus loin

Merci les amis. Les ombres sont beaucoup plus faciles à vivre auprès de vous.

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