Calanques, version grand large

By Bertrand, 1 octobre 2016

Le train s’apprête à quitter la gare Saint Charles de Marseille. Des centaines de voyageurs, les yeux gorgés de soleil, s’installent. Le train du dimanche soir est une antichambre. Chacun y amène son lot de souvenirs glanés pendant le week-end ainsi qu’une certaine mélancolie naissante de cet intermède entre une semaine qui s’éteint et une nouvelle qui commence. Le rythme régulier des paysages qui défilent et la lumière qui s’atténue progressivement agissent comme un filtre. Comme ces lumières automnales galvanisées par la force de l’été passé mais qui n’ont plus le même éclat. Dans cette foule d’anonymes je me sens privilégié. Ce privilège je le tiens de cette impression d’être allé au coeur des choses durant ces 4 jours dans les Calanques de Marseille en compagnie de Marguerite, JB, Nathan, Philippe et Vincent.

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Le premier jour Vincent et moi prenons la direction de Cassis et du Cap Canaille.

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La sortie des grandes voies débouche sur un belvédère très fréquenté des touristes pour la beauté du point de vue. Impossible lors de notre arrivée au dernier relais de ne pas sentir le regard des badauds qui nous scrutent avidement. Dans leurs yeux de la peur, de la curiosité aussi et un soupçon d’envie je crois. L’envie de pouvoir jouir eux aussi de l’intimité des tréfonds de cet espace, en toute liberté. Ce sont les mêmes yeux que nous rencontrons à la sortie d’une voie à l’Aiguille du Midi ou des gorges de l’Escales au Verdon. Ils cristallisent l’intensité de ce que nous vivons sur ces parois. Je me sens à la fois intimidé par ces regards inquisiteurs après une période plus ou moins prolongée de solitude, quelque peu enorgueilli aussi par la réalisation que nous sommes en marge et systématiquement gêné, sachant pertinemment que d’autres réalisations mériteraient bien plus ces regards.

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Pour pénétrer au coeur de ces espaces, il faut une certaine dose d’audace et de résignation.

De l’audace il en faut assurément pour se jeter dans une ligne de plusieurs rappels avec pour seul échappatoire (commode) l’escalade de la paroi que nous venons de descendre. Impossible d’ignorer le coeur qui bat la chamade au moment de se lancer dans les rappels dans les rappels du Devenson (la prononciation de ce mot à fait l’objet de débats houleux et j’encourage donc le lecteur à se faire sa propre opinion sur le sujet en gardant à l’esprit que 1. la seule Marseillaise pure souche du groupe prononçait le “en” comme dans le mot “benne” et que 2. les Marseillais peuvent être un tantinet susceptible pour ce tout ce qui touche à leur mère patrie).

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A ce jeu de l’audace la palme revient sans conteste à Philippe et Marguerite. Le Baou Rouge au Devenson constituait en effet à la fois leur toute première grande voie et leurs tous premiers rappels. Je n’ai pas de mots pour vous dire toute mon admiration.

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Tout n’a pourtant pas été si simple ! A commencer par les revendications syndicales sur l’heure du réveil. A ce jeu là Nathan et Marguerite ont été très forts. Nathan nous annonce autour de minuit la veille du départ que n’ayant (soit disant !) pas eu la possibilité de prendre avec lui son matériel, il nous fallait attendre l’ouverture du premier magasin (Décathlon avec ses 9h fait bien mieux que le Vieux avec ses 10h) pour pouvoir s’équiper. Me demandant si cela était problématique j’avoue à demi mots que j’imaginais un départ (beaucoup) plus matinal. Soit, l’heure du réveil est programmée pour 7h45. Le lendemain matin, bien calés dans la voiture pour l’ouverture du magasin, nous sommes surpris par l’arrêt brusque de la voiture de Philippe et Marguerite. Une amie de Marguerite venait à l’instant de répondre qu’elle pouvait en fait nous prêter le matériel manquant. Mouais … Nous n’y avons pas cru une seconde à ce coup de fil aussi subit que fortuit. Peu importe, direction le Deven(ne)son.

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En route nous passons devant un paysage aussi sublime que dévasté. Mélange d’admiration et de questionnement. Les calanques sont un joyau naturel qui ont fait l’objet de débats politiques et citoyens houleux lors de la création récente du Parc National, limitant par là même l’accès humain à ce site. Dans ces conditions comment ne pas regretter la construction pas si lointaine d’une immense barre d’immeubles à fleur de rocher, du rejet quotidien directement dans la mer depuis environ 50 ans de boues rouges chargées de métaux lourds pour un volume estimé à 30 millions de tonnes (arsenic, mercure, plomb, aluminium, chrome, vanadium et titane) et du feu (d’origine criminelle ou du manque d’attention humaine vis à vis de l’environnement) qui vient régulièrement brûler des milliers d’hectares de garrigue. Le dernier en date a ravagé 400 hectares de végétation. Un triste spectacle de désolation qui lui a valu un écho journalistique durant quelques jours. Au même titre que les glaciers des Alpes dont la presse s’attriste périodiquement de leur retrait. Lorsque nous sommes en montagne et que nous parcourons ces derniers, difficile de ne pas ressentir l’écart béant qui sépare nos instances dirigeantes et les populations directement victimes de ces drames naturels. Si les hommes politiques étaient alpinistes peut-être les glaciers s’en porteraient-ils mieux ?

Arrivés au parking, après une halte obligatoire devant la plaque destinée au grand Gaston, et après avoir vidé le sac de Philippe du matériel dont nous pensions finalement pouvoir nous passer (déodorant, brosse à cheveux, médaille durement glanée au marathon du Connemara et j’en passe), nous nous mettons en route pour la longue marche d’approche qui nous gratifie de vues splendides sur le Cap Canaille avant de nous mener au col de la Gardiole et enfin au col du Devenson. Depuis ce dernier nous dominons les falaises qui forment une véritable arène. Je ne sais si c’est un avertissement mais la vue est saisissante et c’est avec un peu d’émotion que nous nous engageons dans la ligne de rappels. En général les grimpeurs n’aiment pas beaucoup cet exercice où nous devons accepter une perte de contrôle. De la résignation je disais….

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L’exercice est absolument vertigineux avec deux rappels en fil d’araignée (comprendre que le corps est pendu dans le vide et que les pieds ne parviennent plus à toucher le rocher) et semblent plonger vers la mer sans discontinuer. Intérieurement je crains un peu la réaction de Philippe et Marguerite et espère qu’ils ne seront pas trop submergés par les émotions. Le cri de Marguerite lorsque ses pieds s’éloignent inexorablement de la paroi et son visage blême à l’arrivée du second rappel me laissent présager du pire. Pourtant je suis estomaqué par la rapidité avec laquelle elle regagne ses esprits et parvient même à profiter de ces instants suspendus.

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Philippe de son côté semble à l’aise comme un poisson dans l’eau, les calanques sont son jardin de jeu et il semble s’y amuser. Bluffant.

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Lorsque nous arrivons au bas de la face l’après midi est déjà bien engagé et la pause tomate écrasée, banane fracassée au fond du sac et fromage coupé au gravillon permet à tout le monde de se ressaisir et de se préparer à grimper. Avec deux cordées de trois j’espère que nous serons assez rapide pour sortir avant la nuit. Inutile de rajouter des émotions à une journée qui s’annonce déjà bien chargée. Ceci dit Nathan, JB et Vincent ne semblent pas trop émoussés ; ils ont passé une bonne partie de la matinée à deviser sur le sexe de 3 étranges nudistes se prélassant sur une plage un peu trop lointaine pour permettre d’assouvir définitivement leur curiosité. A chacun ses problèmes 😉

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L’escalade en elle même se révèle extrêmement plaisante. Je ne veux pas m’appesantir en détails peu intéressants mais la variété des passages et la beauté du paysage font de cette voie une incontournable des Calanques selon moi.

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Le dièdre à l’ancienne de la deuxième longueur, la traversée aérienne au-dessus de la mer de la troisième longueur, le mur raide à goutte d’eaux de la quatrième, les surplombs de la cinquième et l’apothéose de la septième et dernière longueur longue de plus de 50 mètres et riche en cristaux avec des prises absolument incroyables restent clairement dans ma mémoire plusieurs semaines après l’avoir parcourue. Un fait rare, moi qui ait tendance à oublier les instants de grimpe très vite (bien plus que les circonstances et les menus détails extra-sportifs !).

 

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Une fois sortis de la voie c’est avec une sincère et profonde joie que nous nous embrassons. Fiers du chemin parcouru et reconnaissants des instants privilégiés partagés.

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Car lorsque je parlais du privilège d’être allé au coeur des choses, je pense évidemment aussi à celui d’être allé au coeur des êtres. Peu d’activités humaines permettent de vivres des relations d’une telle intensité. Des qualités induites par l’activité telles que la confiance, un certain dépouillement, la simplicité, l’optimisme sont des qualités très favorables aux relations humaines. C’est ce qui fait de la montagne une activité si particulière. On y retourne pour la magie des lieux bien sûr. Mais si elle ne permettait pas de vivre des relations si fortes la magie n’opérerait pas avec un telle intensité. Car on ne se lasse pas de ses moments partagés. Hermann Hesse disait dans l’une de ses nouvelles que l’intensité des amitiés faites lors de l’enfance ne trouvent jamais d’égal et que les relations formées à l’âge adulte manquent d’une certaine authenticité, d’un certain éclat qui les rend plus ternes. Cela est dû selon lui à la déformation opérée par la société. Cela est vrai en un sens et nous en faisons l’expérience. Mais parce que les masques tombent en montagne, cette authenticité est à nouveau à portée de main. L’innocence de l’enfance est à nouveau possible, en toute conscience.

 

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Les cordes pliées et le matériel rangé, il ne nous restait plus qu’à reprendre le chemin du parking, au clair de lune cette fois-ci. Une lune qui nous paraissait immense. A moi qui croyait qu’elle se faisait plus grosse pour éclairer le chemin des valeureux, Nathan m’explique que cette effet d’optique est bien connu et documenté. Damn it 😉

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De retour à Marseille la magie n’a pas cessé d’opérer. Arrivés au restaurant avec 3 heures de retard et à presque minuit (!), le serveur nous confirme que notre table est toujours disponible. Quelle joie d’autant que l’adresse (Le Cercle Rouge) est bonne avec une cuisine de bons produits frais servie sur une agréable terrasse intérieure.

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Pour finir, un grand merci à nos ôtes marseillais pour leur accueil dans leur ville dont je découvrais pour la première fois l’énergie et la chaleur. Et merci à vous fidèles compagnons de cordée pour votre joie de vivre et votre énergie. Ils me nourrissent.

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4 Comments

  1. Aline dit :

    Toujours aussi sympa de te lire !

  2. Pippo dit :

    Fan de lune ! Ce n’est pas un escribassié le Bertrand !

  3. Pippo dit :

    Quelle belle aventure : une paroi magnifique, une équipe qui l’était encore plus !

    merci encore
    philippe

    (mais je tiens quand même à signaler que la brosse à cheveux, c’est JB qui l’a mise dans mon sac !)

  4. Démenti dit :

    Je déments, Philippe, je ne jure que par le Peigne !
    Sinon, j’avoue humblement avoir loupé le glacier. Au niveau de quelle longueur était-ce ?

    ps : Bertrand, tu réclamais des commentaires sur ton blog, te voici servi 🙂

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