Aiguille Verte – Couloir Couturier

By Bertrand, 11 février 2011

« Avant la Verte on est alpiniste, à la Verte on devient montagnard… », Gaston Rébuffat

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L'Aiguille Verte depuis l'Aiguille du Midi

Gaston Rébuffat résume en une phrase ce que cette montagne représente dans l’imaginaire collectif montagnard. Plus qu’un sommet, l’Aiguille Verte est un rêve pour beaucoup d’alpinistes. Régnant sur la vallée de Chamonix, elle dévoile des faces bien différentes, toutes aussi majestueuses, selon le lieu d’où on l’observe. Son charme vient en partie du fait qu’aucune voie ne soit facile et que l’accès (et le retour) de ce sommet sont toujours une grande aventure alpine.

Depuis Chamonix, dit Versant Nant Blanc, ce sont les courbes harmonieuses de sa calotte blanche qui attirent immédiatement l’œil, déchirée à son point bas de séracs effrayants. Puis se dessine la longue colonne vertébrale rocheuse menant au sommet, l’arête des Grands Montets. Versant sud, c’est le couloir neigeux, théâtre de la première ascension par Edouard Whymper en 1865, aujourd’hui la voie de montée et de descente classique. Versant Argentière, la face nord et ses voies glacières se révèle.

C’est par ce versant nord et le couloir Couturier, un élégant corridor de 1100m menant de manière ininterrompue de la rimaye au sommet, que je désirais réaliser son ascension. Depuis mes tous premiers pas en alpinisme, mes yeux se sont en effet posés sur elle et l’Aiguille Verte n’a dès lors cessé d’occuper mes rêves verticaux.

Le couloir Couturier

Le couloir Couturier

Résolus à tenter son ascension cette année, Fabien et moi surveillons de près la météo afin de saisir le meilleur moment pour nous y rendre. L’exceptionnelle période de beau temps et de stabilité météo de ce mois de février 2011, qui désespère tant les skieurs en quête de neige fraîche, nous donne l’occasion de tenter notre chance. Alors que je m’apprête à partir pour Chamonix le week-end du 5/6, nous décidons au dernier moment de patienter encore un peu car un fort vent d’altitude souffle. Fabien me confie qu’un de ses amis a dû renoncer à l’ascension dans son premier tiers à cause de violents spindrifts. Cependant, le soleil brille durant ce week-end et des amis interrogent notre inaction malgré un temps printanier dans la vallée ! C’est avec beaucoup d’impatience et d’appréhension que je vois les jours de beau temps passer, étant obligé de rester à Londres jusqu’à mercredi soir pour des raisons professionnelles. Au final, la météo semble rester au beau fixe jusqu’au moins samedi, avec une dégradation annoncée pour le week-end, et je quitte donc Londres par le premier avion du jeudi matin, les yeux un peu clos mais le cœur vaillant.

Après un bon déjeuner familial à Thonon-les-Bains, j’arrive à Chamonix  en début d’après-midi et rejoins Fabien à la gare du Montenvers. Le téléphérique des Grands Montets nous monte ensuite rapidement à 3300m chargés comme des mulets des affaires de bivouac.

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La calotte blanche de l'Aiguille Verte depuis les Grands Montets

Afin de ne pas trop se mettre de pression sur le temps de course, nous prévoyons de dormir à l’aller dans les couloirs de la station d’altitude des Grands Montets et au retour au refuge d’hiver du Couvercle. Nous passons la soirée là-haut en compagnie de trois autres cordées qui ont toutes des projets ambitieux, et à notre grande satisfaction, aucune ne prévoit de réaliser le Couturier. Couloir nord des Drus, et deux goulottes techniques en rive droite du couloir Couturier, tels sont leur objectifs.

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Notre hôtel !

Nous apprenons que les courses du coin sont extrêmement fréquentées de par les bonnes conditions climatiques et que la goulotte Ginat a reçu une dizaine de cordée ce jour là !

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Coucher de soleil sur le Mont Blanc et les Drus

L’après-midi passe rapidement entre thé, tarte aux pommes, préparation du matériel et des sacs de couchage, coucher de soleil sur le Mont Blanc et enfin une bonne ration fromage, saucisson, soupe et pâtes à la sauce tomate.

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Fabien, chef cuistot !

La nuit n’est pas trop froide mais dès 23h un violent vent frappe les fenêtres de la station et ne discontinue pas de toute la nuit ce qui m’inquiète sur nos chances du lendemain. A notre réveil, à 4h, le vent se calme finalement et semble nous laisser place. A nous de jouer !

Après une heure de marche, nous nous retrouvons au pied de la rimaye, dernière protection du glacier, à 6h. J’en profite pour retirer mes moufles et ma doudoune hivernale; moi qui croyais avoir froid, il fait finalement très chaud… La nuit noire ne nous permet pas de contempler le couloir avant de commencer son ascension. C’est à la frontale que nous passons relativement facilement la rimaye sur une langue de neige gelée qui, malgré son apparente fragilité, ne rompt pas sous notre poids.

Les 300 premiers mètres se révèlent être en neige excellente, durcie par le regel nocturne, et nous progressons rapidement sur les traces formées par les cordées nous ayant précédé jusqu’à un premier ressaut de glace noire.

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Pause photo dans le couloir

Nous décidons alors de progresser en corde tendue avec une à deux broches entre nous. Pas mécontents de rencontrer un passage un peu plus technique, nous le sommes moins des jets de glace projetés par les deux cordées qui nous précèdent mais qui heureusement finissent par traverser le couloir sur la gauche pour rejoindre les goulottes de la rive droite. Les sifflements des glaçons ne nous manqueront pas et nous apprécions la chance d’être la seule cordée dans le couloir.

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Une cordée s'engage dans une goulotte rive droite

Après ce premier passage plus technique, nous sommes surpris de la physionomie que prend la voie  devant nous au soleil levant. En effet, ce couloir habituellement presque entièrement neigeux, et que de nombreuses personnes nous ont décrit comme étant en excellente condition, est en fait presque entièrement recouvert de glace ! Cela n’est pas vraiment surprenant en plein milieu de l’hiver, et correspond aux observations récentes faites en ski par Fabien, mais contraste avec les descriptions qui nous avaient été faites. Il est fort probable que le vent de la nuit précédente ait balayé la neige.

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Pente raide du couloir au lever du jour

Nous progressons donc en corde tendue dans cette grande pente de glace, ne nous octroyant que quelques relais intermédiaires pour échanger le matériel et s’hydrater (bien que pas assez à mon goût !). La glace n’est pas mauvaise et se cramponne sans trop de difficulté mais j’assure solidement chaque ancrage ce qui chauffe rapidement mes mollets, peu habitués à être autant sollicités. Par moment je jette un coup d’œil derrière nous et admire notre progression sur ce grand toboggan glacé. Cela est quelque peu impressionnant de voir la pente du haut. Je me rappelle alors mes premières impressions au Verdon, regardant par-dessus les gorges avant d’y descendre. Je pensais ne jamais être en mesure de remonter ! Au final, pas après pas, ancrage après ancrage, nous remontons doucement ces pentes glacées, jamais trop difficiles techniquement, mais toujours exigeantes de concentration et d’effort physique.

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Dans la glace du couloir Couturier

Lors de l’une de nos courtes haltes, je me retourne pour admirer le paysage et les flancs des montagnes environnantes inondés de soleil alors que nous bataillons à l’ombre glacée de cette face nord est. Quel contraste !

Au final nous ne rencontrons qu’une petite centaine de mètres de neige, qui nous permettent de reposer rapidement nos mollets enflammés mais pas de relâcher notre attention car la neige, trop molle, ne permet pas d’ancrages. La montée est longue, presque abrutissante par moments, croyant trouver le sommet à quelques encablures avant qu’il ne se dérobe à nouveau, mais la ferme volonté d’aller en haut nous fait toujours avancer.

C’est alors que pour la première fois nous distinguons nettement les dernières pentes sommitales. Quelle impression étrange d’apercevoir ce sommet, tant attendu, à la fois si proche et pourtant encore si lointain. En suivant la ligne qui nous paraît la plus évidente, nous nous sommes écartés des traces depuis une centaine de mètres et c’est par un pas technique de cascade que nous franchissons une petite rimaye secondaire avant de retrouver les dernières pentes de glace.

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"C’est par un pas technique que nous franchissons une petite rimaye secondaire"

Après cinquante mètres, et alors que je m’y attends le moins, j’entends Fabien lancer un joyeux jodel. Le sommet pourrait-il être atteint, « déjà » ? Il me semble encore si lointain ?! C’est alors que, quelques mètres plus loin, le soleil inondant mon visage de la chaleur de ses rayons retrouvés, et mes yeux découvrant un horizon caché jusque-là, je réalise que nous sommes arrivés au sommet. Enfin, à 5 mètres de celui-ci puisque je peux distinguer juste à ma droite une petite bosse neigeuse.

Une forte émotion m’envahit, de se retrouver ici, après tant d’efforts…

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Au sommet, heureux

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Fabien heureux de se dresser sur la cime

Ayant profité un moment du sommet, Fabien et moi nous re-concentrons immédiatement sur la descente que nous savons délicate, d’autant qu’il nous faut emprunter le Whymper et qu’il est déjà 14h. Une arête neigeuse bien tracée nous mène rapidement au départ de la ligne de rappels du couloir. Nous commençons la longue série de rappels qui nous mènent au pied de la rimaye en face sud sans difficulté majeure, mais qui nous prend tout de même un peu plus de trois heures.

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Dans les rappels du Whymper

Il ne nous reste « plus qu’à » rejoindre à la frontale, le refuge d’hiver du Couvercle, ce qui nous prend deux heures. Fatigués (et affamés malgré les cacahouètes englouties au bas du couloir) nous avançons un peu machinalement vers le refuge, profitant tout de même du coucher de soleil berçant la face nord des Grandes Jorasses. J’avoue que je suis heureux de rejoindre le refuge sans avoir à emprunter de pentes ascendantes, car mes jambes ont maintenant rendu l’âme !

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Coucher de soleil sur les Jorasses

Une fois au refuge, nous effectuons le strict minimum ; appels à la famille, rangement du matériel, préparation d’une soupe et de thé pour compenser notre état de déshydratation, mais déjà nous ne pensons qu’à une chose, nous coucher…Ce que nous faisons sans tarder… Cela fait 18 heures que nous sommes debout.

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Le refuge d'hiver (historique) du Couvercle

Après une nuit froide, nous nous offrons le luxe d’une grasse matinée jusque huit heures et demie. La première chose que je remarque au réveil est l’état de mes jambes, dures comme du bois et un fourmillement persistant aux pieds. Je sens qu’il va falloir plusieurs jours pour récupérer ! Il ne nous reste plus que deux heures de marche sur les glaciers de Talèfre, Leschaux et la Mer de Glace pour rejoindre la station de train du Montenvers. Contrairement aux indications météo le soleil continue de briller et c’est par un temps magnifique que nous finissons, à rythme posé, notre aventure.

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Un retour très agréable

Ceci me donne l’occasion de revivre intérieurement la course de la veille ; paradoxalement je me dis que je ne suis pas si mécontent des conditions difficiles rencontrées. Elles ont rajouté un caractère épique à cette ascension tant désirée. Mais comme toujours en montagne, ce sont les instants de partage de cordée, de confiance et d’amitié, qui prennent le dessus sur les difficultés techniques rencontrées. J’ai maintenant hâte de partager ma joie avec mes proches.

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Petit clin d'oeil 😉

 Je termine par une nouvelle citation de Gaston Rébuffat de circonstance, suggérée par Fabien : « Un rêve réalisé enfante un autre rêve ». A suivre…

3 Comments

  1. thibaud dit :

    Par le pouvoir de la quiche lorraine ! Génial !

  2. JF Bouygues dit :

    Bonjour, vous dites dans votre topo : Après un bon déjeuner familial à Thonon-les-Bains, j’arrive à Chamonix en début d’après-midi et rejoins Fabien à la gare du Montenvers. Le téléphérique des Grands Montets nous monte ensuite rapidement à 3300m chargés comme des mulets des affaires de bivouac.

    Mais comment va-t-on de la gare du Montenvers aux Gds Montets en téléphérique? car si j’ai bien vu les plans de la region, le seul telepherique qui arrive aux Gds Montets part d’Argentière.

    Merci pour votre reponse. Cdt

  3. Bertrand dit :

    Bonjour,
    Il s’agit d’un raccourci dans le texte. Effectivement le téléphérique des Grands Montets se situe bien à Argentière.
    Bonnes courses en montagne
    Bertrand

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